CABANE A SUCRE
L’église au milieu des érables
Ça commence par une expression qui promet des excès : se sucrer le bec. Pas besoin de vous faire un dessin. Cette formule typiquement locale prend tout son sens à la cabane à sucre. C’est presque une prière au mois d’avril, quand le fameux temps des sucres installe définitivement le printemps dans les cœurs. Les érables à l’écorce percée sonnent alors le rappel. Il sort de leur tronc un liquide légèrement sucré qui devient du sirop au terme d’un processus de fabrication artisanale.
Inutile de vous dire que chez les cousins, cette baraque vaut largement une messe. La cabane à sucre, c’est l’église au fond des bois, le temple sacré de la tradition. Et le fidèle s’en met plein la panse ! Pas de prêtres ni d’autel pourtant. Les sorciers sont à la cuisine et font tourner leurs fourneaux à plein régime. Et la gourmandise ? Tout sauf un péché. Les aliments divins ont pour nom de baptême oreilles de crisse, fèves au lard, tourtière, grand-père au sirop d’érable, omelette et j’en passe.
Ils sont bénis par une meute d’autochtones, d’immigrés et parfois de touristes qui entretiennent l’estomac plein une belle et chaleureuse coutume. La cabane à sucre, c’est l’eucharistie à volonté, la convivialité sans serment et le sirop d’érable à toutes les sauces. Il nappe chaque passager de votre assiette, enduit les patates et se répand dans le troupeau des haricots.
C’est la victoire de la coutume, et aussi, pour certains, le sucré-salé qui bouscule les habitudes. Il y en a pour tous les goûts. Commerciale ou rustique, petite ou (trop) grande, à l’abri des regards ou à découvert, la cabane à sucre ne régale pas seulement les papilles gustatives. C’est aussi la promesse du printemps retrouvé, une page hivernale que l’on tourne en famille ou entouré d’amis. C’est cette résurrection des beaux jours qui donne cet arrière-goût si plaisant à ce pèlerinage du mois d’avril.
Quand le banquet est terminé, la foule ressort par grappes, sans omettre de goûter à la tire d’érable. Le liquide pâteux est versé sur une rangée de neige, où il se solidifie, avant de finir enroulé autour d’un bâtonnet. La sucette n’a plus qu’à être dégustée. La tire, molle et épaisse, n’oppose guère de résistance. À l’année prochaine.
Amen.
Olivier Pierson.